Marc Olano
Publié le
Loin de la réaction impulsive ou non préméditée, la violence chez les enfants s’explique en grande partie par l’éducation qu’inculquent les parents.
Un garçon de 2 ans joue au milieu d’autres enfants dans une crèche. Soudain, il aperçoit dans les mains d’un petit camarade une voiture de pompiers qui lui plaît bien. Comme celui-ci refuse de la lui donner, il le mord et la récupère aussitôt… Un enfant de 6 ans au CP : il s’aperçoit que son voisin de table lui a pris un de ses stylos. Sans chercher plus loin, il lui envoie un coup de poing et reprend son bien. Deux réactions violentes à deux âges différents. Quelle différence ? Si à 2 ans, le fait d’user de sa force pour récupérer un objet convoité est une attitude tout à fait commune, à 6 ans, ça l’est beaucoup moins.
Une pulsion pour survivre
« Le cerveau humain est d’abord celui d’un animal avant qu’il ne soit éduqué pour devenir un cerveau pensant », écrivent les neuroscientifiques François Math et Didier Desor (1). Chez les primates, l’agressivité a avant tout une fonction adaptative. Elle permet de protéger son territoire, de se procurer de la nourriture, d’obtenir des partenaires sexuels pour les mâles, de protéger sa descendance, en bref d’assurer sa survie. Dans le même esprit, le petit de 2 ans qui mord pour obtenir ce qu’il veut, qui pousse l’autre pour prendre sa place, ne cherche en quelque sorte qu’à protéger son territoire ou à se procurer des ressources « essentielles à sa survie ». À l’âge de 17 mois, 80 % des enfants commettent des agressions physiques. Puis, en grandissant, ils apprennent à maîtriser leurs pulsions, à tolérer leurs frustrations et à limiter leurs gestes impulsifs. Tout d’abord, l’enfant va accéder au langage et apprendre à négocier, mais aussi à parler de ses frustrations au lieu d’uniquement les vivre. L’agressivité s’exprime alors moins sur le versant physique, mais plus par la parole. Petit à petit, l’enfant intègre les règles de la vie sociale. Son éducation lui permettra d’apprendre d’autres stratégies que la manière forte pour résoudre les conflits auxquels il sera confronté. Mais, parfois, l’enfant vit dans un contexte qui ne lui permet pas de faire ces apprentissages essentiels à la vie en société.
Le rôle de l’éducation
Même s’il existe une prédisposition génétique à la violence, le contexte familial joue un rôle clé dans l’apparition de ce type de comportements. En ce qui concerne l’éducation de l’enfant, la psychologue américaine Diana Baumrind évoque quatre styles parentaux. L’éducation démocratique, un mélange de fermeté et de bienveillance à l’égard des enfants prodiguée par des parents qui à la fois imposent des limites, mais lui laissent aussi une certaine liberté de négociation. Le style autoritaire, quant à lui, se caractérise plutôt par des pratiques dures et punitives que par les explications rationnelles. Les parents permissifs sont des parents indulgents qui ont tendance à céder aux caprices de l’enfant. Enfin, les parents négligents, incapables de s’impliquer affectivement auprès de leur enfant, se montrent indifférents face à ses besoins.
Un petit qui obtient tout ce qu’il veut quand il crie, trépigne ou se tape la tête contre le sol, comme cela peut être le cas avec des parents négligents ou permissifs, risque d’en tirer « une expérience faussée du monde », écrit le pédopsychiatre Daniel Marcelli (2). Car l’enfant a avant tout besoin d’interdits structurants et de limites pour se construire. Tout d’abord pour le protéger, car il n’a pas conscience du danger, puis pour apprendre à vivre avec ses frustrations. La signification verbale des limites permet à l’enfant de les comprendre et de les intérioriser. Pour D. Marcelli, l’éducation des parents d’aujourd’hui se caractériserait plutôt par un excès d’autorisations et une valorisation de l’autonomie du tout-petit qui, selon lui, serait la source de la plupart des problèmes de violence. À l’inverse, un enfant qui grandit auprès de parents trop autoritaires risque, lui aussi, de développer des conduites agressives plus tard. Son point de vue n’est pas pris en compte et il n’est pas suffisamment encouragé pour faire ses propres expériences. Pour les psychologues François Bowen et Nadia Desbiens (3), ces enfants trop brimés n’apprendront pas à formuler leurs besoins, à prendre leurs propres décisions et à s’autodiscipliner. Il est possible qu’ils construisent une vision hostile du monde extérieur, dans laquelle ils auront tendance à attribuer des intentions malveillantes aux autres, ce qui à son tour justifiera dans leur esprit des réactions agressives. Finalement, c’est essentiellement une éducation de type démocratique basée sur des attentes réalistes et les échanges qui permettra au mieux d’endiguer les pulsions violentes chez l’enfant.
Sortir du cercle vicieux
De manière générale, la réaction violente est une réponse à un état de stress intense provoquant une angoisse à laquelle l’enfant n’arrive pas à faire face. On retrouve plus fréquemment ce genre de situations chez les enfants qui n’ont pas pu établir avec leurs parents un lien d’attachement suffisamment solide dans leurs premières années de vie. C’est le cas, lorsqu’en situation de détresse, leurs parents ont pu réagir par le rejet plutôt que par le réconfort, ou alors en donnant des réponses incohérentes, imprévisibles ou tout simplement pas de réponse du tout. Les parents qui ignorent le mal-être de leur enfant ou qui ne savent pas y répondre vont l’encourager à se renfermer plutôt qu’à exprimer ses difficultés. Quand, en plus de cela, les enfants sont soumis à des mauvais traitements, des manipulations, humiliations ou agressions verbales, le risque de développer des troubles du comportement devient très important. De nombreuses recherches ont mis en évidence un lien fort entre le fait de subir de la violence et les conduites agressives plus tard. L’enfant, à défaut de pouvoir élaborer ce qui se passe, risque de s’identifier à son agresseur et de reproduire avec les autres les comportements qu’il a subis. Le fait d’assister de manière régulière à des scènes violentes à la maison participe aussi à une forme de banalisation de la violence. L’enfant intègre un modèle de communication dans lequel la parole n’a que peu de place et où la seule solution pour résoudre des désaccords est la punition, l’agression verbale ou physique. Dans ce type de contexte, chacun vit pour soi, les besoins de l’autre sont niés. L’enfant aura alors du mal à se décentrer de ses propres besoins pour se tourner vers les autres et construire des relations d’amitié avec ses camarades. Rejeté par ses pairs pour son impulsivité, le voilà pris dans un cercle vicieux d’où il ne pourra sortir sans la mise en place d’un soutien extérieur.
NOTES
1.
François Math et Didier Desor, Comprendre la violence des enfants. L’apport des neurosciences, Dunod, 2015.
2.
Daniel Marcelli, La Violence chez les tout-petits, Bayard, 2010.
3.
François Bowen et Nadia Desbiens, La Violence chez l’enfant : approches cognitive, développementale, neurobiologique et sociale, Solal, 2011.
Source: https://www.scienceshumaines.com/qu-est-ce-qui-rend-l-enfant-agressif_fr_35787.html
No comments:
Post a Comment